L’indispensable inutilité de facebook (3) : l’aliénation de l’indolent
Ta copine de CM2 a passé ses vacances à Marbella avec son copain soudeur/fraiseur. Ton voisin de 4ème C a des problèmes de réfrigérateurs. Et d’orthographe. Ta petite sœur de 14 ans sort avec un punk à chien de 28 ans. Toutes ses informations, frisant l’essentiel, te sont quotidiennement apportées par ta page d’accueil Facebook. Et malgré leurs caractères futiles, tu n’arrives pas à décrocher. Tel un junkie avec sa piqure, tu ne peux t’empêcher de consulter ton « news feed » dès que tu as un instant de libre. L’espoir d’un post sur ton wall, d’un message inbox ou d’une décapante nouvelle te poussent à scruter perpétuellement ce site, que tu as soigneusement mis dans tes favoris. A la maison comme au boulot bien évidemment. Profil après profil, photo après photo, statut après statut, l’oisiveté du voyeur t’éprend sans crier gare. Et bien figure toi, cher lecteur avachi (redresse-toi un peu, c’est bon pour ton dos), que ce phénomène a désormais un nom. On appelle cela l’aliénation de l’indolent, ou plus couramment, la nonchalance du geek…
Le Baby book, l’accouchement en toute discrétion
On a tous, dans nos contacts, une amie qui a eu la bonne idée, outre d’arrêter l’école très tôt, de tomber enceinte à l’âge de 24 ans. Mieux encore, il se peut que l’une d’entre elle ait décidé de vous faire vivre sa grossesse via ses statuts Facebook. Alors au début, le ravissement est de mise. Les messages de félicitations fleurissent, l’allégresse se propage, l’euphorie gagne le mur de la jeune maman. Pire que l’élection d’Obama. On passera sur le torrent de guimauve rependu pour l’occasion et sur l’idée, pour le moins discutable, d’avoir un marmiton aussi jeune. Enfin là n’est pas là question. Aussi, durant les 8 premiers mois, les statuts se font plutôt rares. Seul le sexe du bambin et d’autres anecdotes gynécologiques viennent agrémenter le wall durant cette période. Faut dire que malgré la grossesse, le couple travaille dur. Et oui, il ne va pas se rembourser tout seul, le prêt pour le Scénic. En fait, tout s’accélère durant le dernier mois. En plus des travaux de la maison récemment achetée, également à crédit, les travaux pour la grossesse ont tendance à effrayer madame. Cette dernière ne trouve alors rien de mieux que de nous faire partager son angoisse via ses statuts. Et autant dire que cela vire à l’obsession. Petit apercu :
Mardi 5 mai : Vacances. On va en profiter pour faire le salon.
Samedi 9 mai : Pensez voir sa crevette à l’écho, mais non rdv annulé 5min avant…
Dimanche 10 mai: Fatiguée….
Samedi 17 mai : Début de la congé maternité. Dans deux mois, elle sera parmi nous.
Mardi 30 mai : J’en peux plus, fait trop trop chaud….Heureusement, le salon est terminé !
10 Juin : Pas mal de douleurs aujourd’hui et mauvaise nuit15 juin. Elle peut arriver maintenant, il y aurait plus de soucis majeurs. Selon la sage femme , je serais à terme au 25/06
17 juin : Que faire par ce temps ??…Pourquoi ne pas accoucher ?
20 juin : Peut-être une histoire de jours….?!
L’accouchement n’ayant pas encore eu lieu, son calvaire, et le nôtre, n’est malheureusement pas terminé. On imagine déjà tous la scène, quand, prise de contractions, la jeune maman en train de perdre ses eaux sur la plage arrière de la Scénic au grand désespoir de son mari, hurlera à celui-ci d’un ton paniqué : « Merde, chéri, je n’ai pas mis à jour mon statut facebook ! Fais demi-tour, on rentre à la maison ! »
Death book, l’enterrement en toute dignité
Dans la même veine, j’ai reçu la semaine dernière une invitation d’un nouveau genre : il s’agissait d’un event pour un enterrement. La page m’apprenait qu’une amie de ma voisine du premier trimestre de CM2 (une proche donc) était morte à l’âge de 24 ans. Même si je ne connaissais pas la demoiselle en question, je fus assailli par une vive émotion et une sincère tristesse. La sobriété de l’hommage probablement. Ou l’orthographe, plus certainement. Les mots sont souvent dérisoires dans ces moments-là. Effectivement :
» C’était trop jeune pour mourir » . De mémoire, on n’a jamais entendu le contraire.
« Je n’oublierais jamais les délires passés ensemble au lycée ». Du verbe « Je passe un délire, tu passes un délire, il passe un délire, nous passons un délire,… »
« Tu avais toujours la joie de vivre, une vrai bout en train » . « Une boute en train », je veux bien. Un peu limite comme humour quand on apprend quelques posts plus tard qu’elle était dépressive et qu’elle s’est jetée sous un train.
Alors que les messages d’hommages affluaient sur le mur, je répondis par la négative quant à ma présence à l’enterrement. Un peu honteux de ma défection, je fus cependant rassuré par la teneur du message de Gerard B, un ami de la victime. Ce dernier disait en substance « Toutes mes condoléances. Mais demain je ne peux pas, j’ai dos crawlé ». Tandis que j’imaginais toute la tristesse des parents s’ils venaient à tomber sur ce genre de message, je faillis m’étouffer avec mes chocapics. En effet, une notification m’avertit qu’une page à l’honneur de la défunte venait d’être crée. En gros, je pouvais liker son décès. Morte, la jeune fille dépassait les 50 fans/amis, bien plus que pendant toute sa vie. I don’t like this.
Typologie des usages, petit complément (cf article précédent)
Le jeune actif, dit le néo-peigne-cul. Pompes à gland et costards cravates. Mais surtout Facebook et Blackberry. Car le jeune actif abreuve son mur qu’à partir de son Blackberry Pro, fourni par sa boîte. Ne poste que dans 3 situations bien précises. A 22 heures, en semaine, pour exprimer son agacement d’être encore au bureau à cette heure tardive. A 3 heures du mat, le week-end, pour exprimer son plaisir de se rincer la tête au champagne. A 16 heures, le dimanche, pour exprimer son mal de tête.
L’Erasmus, dit le photomaton polyglotte. Très facile à repérer avec son mur quadrilingue. S’amuse à poster les photos de toutes ses soirées dans le seul but d’exaspérer ses amis restés en France. D’ailleurs, c’est simple, il ne possède que des photos de soirée, comme si sa vie en Erasmus se limitait à celà ( a si merde). Certaines sont sympathiques, d’autres moins flatteuses. En fait, il faut savoir qu’en Erasmus, avant de sortir, un SAM est désigné. Mais lui, il ne roule pas. Il accumule les dossiers. La dissuasion nucléaire, t’as déjà entendu parler ?
Le souhaiteur d’anniversaire, dit le tocard commémoratif. Il a un profil très particulier, un peu monomaniaque. Son activité sur Facebook est réduite au souhait des anniversaires de ses contacts. Sait l’exprimer en 12 langues et en plus de 32 expressions différentes. Si vous en connaissez un dans vos contacts, n’hésitez pas à lui indiquer l’adresse d’un médecin : les TOCS se soignent.
L’auto-like, schyzophrénie ou narcisse ?
Comme si le « like » ne suffisait pas, voilà que débarque en force l’auto-like. Signe d’un égo monumental ou de chevilles enflées, l’auto-like a pour but de mettre en valeur son statut, sa photo, sa vidéo, en likant sa propre activité. La logique du geste m’échappe pourtant. A moins d’être un schizophrène de talent, on poste toujours des statuts avec laquelle on est d’accord, non ? Pourquoi donc, réaffirmer avec force et narcisse, son amour pour sa propre activité ?
Putain, cet article est tellement bon, je crois que je vais me liker…
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