Le dictionnaire corporate (2)

mai 3, 2011   //   by flash   //   Chroniques de la beauferie ordinaire, Vie de bureau  //  No Comments

La novlangue corporate est une langue bien vivante, d’une richesse que l’inscrit à Pole Emploi ne peut soupçonner et qui nous entraîne, dès le premier café ou la première réunion matinale, sur des chemins de traverse linguistique.

« Se caler un point » : Expression à ne surtout pas prendre au pied de la lettre, car il s’agit en fait d’une métaphore corporate synonyme des fameux « on se cale une bouffe » ou du « on s’appelle ? » que l’on emploie lorsque l’on a le malheur de croiser un copain du lycée au rayon fruits et légumes du supermarché. En entreprise, on l’utilise au détour d’un couloir en arguant de surcroit une détresse temporelle « On se cale un point, je suis sous l’eau là » (cf article précédent).

« Du coup » : Expression en vogue dans le milieu sadomasochiste et girafon, le « du coup » est une préposition d’emmerdement de tout premier ordre. En effet, le « du coup » est quasi-systématiquement suivi d’un impératif venant troubler la quiétude de l’employé ayant un n supérieur ou égal à 2. Utilisé le plus souvent à la fin d’une réunion, le « du coup » est généralement précédé de la primaire onomatopée primato-nordiste « et ben ». Il s’’emploie donc de la sorte « Et ben, du coup, Nicolas, tu t’en occupes ». On ne dira jamais à quel point il faut se méfier du coup qui dort.

« Démarche ou process qualité » :  La qualité, c’est comme le développement durable et les apéritifs dinatoires, personne ne sait très bien à quoi ça sert, mais tout le monde en fait. Un seul conseil, dès que vous entendez cette expression, prenez vos jambes à votre cou sans demander votre reste : vous éviterez bien des souffrances.

« Etre en risque » ou « mettre en risque » : Hyperbole de col blanc s’exprimant avec un harpon dans le derrière qui permet d’exprimer une forte probabilité de se prendre une sévère chasse par sa hiérarchie. Ce qui est embêtant quand on est en risque, c’est que l’on a généralement 0 visibilité et qu’on se l’était bien dit, qu’il ne fallait pas y aller, dans cette usine à gaz. A noter qu’il est possible d’effectuer un transfert de risque en refourgant la patate chaude, via une habile passe en retrait, à un collègue qui n’avait rien demandé. Ce transfert de risque demeure un geste technique de très belle facture, nécessitant flair et fourberie : il est un art réservé au plus doué d’entre nous.

« Performer » : L’expression de bilingue. Appartenant au registre soutenu du language corporate, il est bien peu probable que vous ayez un jour l’occasion d’employer ce vocable. Elle est en effet majoritairement employée par des traders ou des comptables, ce qui permet de vous en situer l’acabit. A l’usage, cela donne : « j’ai performé grave sur mes objectifs, j’ai doublé mon variable ».

« RH » : Une fonction de videur, notamment lors de demande d’augmentation à laquelle le collaborateur se voit souvent objecter « Ah non, ça va pas être possible ». Les RH constituent ainsi la fonction la plus haïse dans l’entreprise, juste derrière la qualité. Il faut dire qu’ils exercent un métier aussi intéressant qu’un débat sur la compatibilité de l’HDMI avec le standard d’affichage VGA.

« Définir une trajectoire » : Métaphore automobile d’un usage croissant en entreprise. La trajectoire est un pré-recquis indispensable à toute politique de long-terme : elle permet de fixer des objectifs pluriannuels de progrès dans l’entreprise (5 points au bullshit bingo). Filant parfaitement la métaphore, la trajectoire s’accompagne obligatoirement d’un pilotage adéquat. Aussi arrive-t-il parfois que des directeurs se transforment en Jean-Louis Moncet en sortant des analyses à la Auto-moto du type : « On doit adapter le pilotage de la stratégie patrimoniale afin de rentrer dans notre trajectoire ». Vous l’aurez donc compris, définir une mauvaise trajectoire peut vous mettre en risque.

« Synergie » : Synonyme un brin pompeux de convergence, la synergie est une « conjonction slidée ». C’est en effet un terme qui ne s’utilise qu’exclusivement au sein d’une présentation PowerPoint. Aussi n’entendrez-vous jamais quelqu’un de normalement constitué affirmer qu’il faut établir des synergies entre deux tables éloignées à la cantine ou qu’il lui a manqué un brin de synergie pour emballer la plantureuse blonde de l’accueil. Si tel était le cas, n’hésitez pas à contacter les services sociaux les plus proches.

« Paradigme » : Conjonction slidée qui demeure le terme favori des bons joueurs de pyramide, motus ou de scrabble tant sa signification est multiple. Dans le monde de l’entreprise, le paradigme exprime un énorme bluff de la part de votre interlocuteur. Ne vous laisser pas berner par la grandiloquence du propos, celui qui prononce le terme paradigme n’a pas plus aucun jeu dans sa manche, et tente juste de vous impressionner avec un mot de 3 syllabes que l’on n’emploie plus depuis 1983. Ainsi, la prochaine fois que vous entendez ce terme en réunion, adressez à votre interlocuteur un petit sourire narquois : il comprendra alors que ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à tomber de la dernière pluie.

Jipé

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