PES ou l’art de la guerre
PES ( comprenez Pro Evolution Soccer ) est plus qu’un simple jeu vidéo destiné à boucher les trous dans les emplois du temps chaotiques de générations d’étudiants masculins. C’est avant tout une religion et un instrument de régulation sociale. Outre le fait qu’il ait choisi de copier le nom d’une obscure section à Sciences-Po, PES est pour tous ceux qui ont commis un jour l’imprudence de s’y essayer une vraie addiction, voire même une déformation pathologique. L’individu PESien finit inlassablement par réaliser un beau jour que ses heures quotidiennes de pratique auraient pu être employées à faire trois fois le tour du monde et à faire un triple cursus en littérature comparée. Pourquoi ? Comment un simple jeu vidéo de foot peut-il briser ainsi foyers et colocations cristallisant des haines et des rancoeurs que même une épidémie de peste ne pourrait pas enfanter ?
La réponse est très simple. PES n’a rien d’un jeu. C’est une guerre, un duel à mort destiné à prouver à l’individu à l’autre bout du canapé qu’il n’est qu’une raclûre humaine sans fierté ni honneur. Ne cherchez pas là-dedans fair-play ou amour du beau jeu. Comme sur le champ de bataille, tous les moyens sont bons pour prendre le pas mentalement sur son adversaire. Car, une fois le niveau de base acquis par les heures de pratique accumulées, tout est une affaire de psychologie. Peu importe qui joue le mieux, qui a la plus grande gueule ou qui a passé une journée de merde. Une fois le bouton ON de la Play enclenché, le monde extérieur disparait pour laisser place à un terrain de jeu virtuel où chacun doit être capable de mobiliser toutes les armes possibles pour ridiculiser son adversaire.
Les belles âmes n’ont pas droit de cité dans l’univers PES. Tout joueur n’étant pas prêt à pourrir un match en essayant de casser le joueur d’en face, de finir à 6 pour empêcher la partie de finir en humiliation ou à mettre systématiquement le même but pour gagner n’a rien à espérer d’une confrontation PES. On repère chez les joueurs les plus chevronnés des astuces typiques pour casser le mental de l’adversaire :
- Le coup des ajustements infinis consiste à passer 5 minutes en réglages laissant son adversaire inactif gamberger avant de commancer le match. Il est conseillé de passer en révue toutes les tactiques et d’essayer 3 équipes avant de partir.
- On recense aussi d’innombrables possibilités de défi. La plus courante consiste à stigmatiser la dépendance d’une équipe aux performances d’un joueur aux stats honteuses, capable de passer en revue 5 joueurs à chaque prise de balle. Les individus assumant leur crime pourront se délecter de joueurs à moitié inconnus capables de courrir le 100 mètres en dix secondes et rendant impossible toute défense. Obinna et Babel étaient par exemple les plus belles blagues de PES 6.
- Le coup du bluff consiste à prendre une équipe minable pour mettre une pression insupportable sur son adversaire jouant avec une vraie équipe. L’humiliation suprême restant de perdre contre une équipe de Ligue 1 Orange, ce genre d’oppositions laisse en général place à une ambiance détestable et délétaire. En cas de gros coup de moins bien, les triplés d’attaquants ridicules ( Huntelaar ou Nacho Novo restent des références en ce domaine ) peuvent carrément dégénérer en débranchage de la Play ou en lancer de manette.
Bréviaire de la mauvaise foi et de l’aigreur
Une partie perdue à PES peut créer plus de conflits et de haine sournoise que n’importe quelle autre situation sociale. Il est ainsi recommandé de maîtriser un maximum la mauvaise foi et la dévalorisation d’autrui pour survivre dans cette guerre de tranchées. Il est très dangereux de croire pouvoir être le seul à jouer fair-play : personne ne faisant de cadeaux, l’unilatéralisme ne conduit qu’à un conflit de personnalité majeur, le désir de respectabilité reprennant toujours le dessus. Quelques figures de base sont nécessaires :
- « le bug du jeu » : des générations de joueurs ont stigmatisé les concepteurs de PES pour justifier leurs défaites. Passes ratées, ballon en touche, carton rouge inventé voire hors-jeu inexistants pour les plus audacieux, tout est bon pour se dédouaner en cas de défaite cinglante. Les plus habiles arrivent à culpabiliser leur adversaire de leur avoir mis 3-O et ne finissent même pas les matchs pour bien montrer leur révolte vis-à-vis de l’injustice.
- Des multiples coups bas et attaques personnelles, la plus réputée reste celle dite du « but Pierre Boisson ». cette tactique consiste à systématiquement railler le jeu simpliste et peu élaboré de l’adversaire en cours de défaite pour déstabiliser celui-ci et l’inciter à changer son jeu pour prouver son vrai niveau, ce qui ne manque pas en général de casser son élan. Tire son nom du célèbre but Pierre Boisson, moqué pour son simplisme et sa récurrence honteuse, ce qui finit par obliger l’intéressé à avoir honte de marquer. Le but après débordement-passe en retrait est aussi une victime facile.
- « Bas ça va t’as tous tes joueurs en vert ». Consiste à faire culpabiliser l’adversaire pour avoir ses joueurs en forme et à l’amener à recommencer pour avoir un match soi-disant équitable. Tout est dans l’évocation implicite d’une victoire sans mérite à venir. Pour réguler ces conflits interminables, certains cercles ont mis en place la règle des jokers, elle aussi régulièrement détournée par le plus habile.
Utilité sociale
Tout comme le sport ( le vrai ), le poker ou Second Life, PES remplit une fonction sociale évidente. En plus de permettre à n’importe quel déchêt humain d’affirmer sa personnalité et de gagner à quelque chose, PES est le meilleur moyen de canaliser la violence quotidienne et les pulsions les plus retorses de l’esprit humain. Au lieu d’aller dégommer des adolescents à Colombine ou d’insulter ses professeurs, l’amateur PES peut concentrer toute sa haine, sa frustration et son aigreur dans l’accomplissement d’un but virtuel et ne mettant pas en danger l’intégrité physique d’autrui. La violence symbolique est certes tout aussi terrifiante que dans n’importe quelle autre bataille sociale mais sa nature est autre.
Se développant dans un contexte physico-psychologique sordide, la violence PES grille toute l’énergie disponible de l’individu, celui-ci n’ayant ainsi plus la force ensuite de s’emporter ou d’agresser quiconque. Cela s’explique par une multitude de facteurs : le confinement dans une position assise immobile, la proximité de l’adversaire, la crispation sur les boutons de la manette, la pression du résultat, les antécédents, … tout est là pour briser l’homme.
A l’heure où l’on sensibilise la jeunesse de notre pays sur les dangers de la drogue, de l’alcool et de la vie en général, il serait temps de mesurer les enjeux du phénomène PES. Mis entre des mains non préparées, PES peut briser des vies, des amitiées, des études et surtout changer un homme. Combien de paisibles adolescents se sont mutés en ordures cyniques par la perversité de ce jeu ? A bon entendeur …
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